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Alors que se tient ce mardi 21 novembre un débat parlementaire sur « la stratégie de la France en Afrique et au Sahel », Bruno Fuchs, député MoDem du Haut-Rhin, membre de la commission des Affaires étrangères, a présenté mercredi 8 novembre avec sa collègue députée LR, Michèle Tabarot, un rapport sans concessions, fruit de plusieurs mois d'entretiens sur l'état des relations entre la France et l'Afrique. Plus qu'un nouveau départ dans les relations franco-africaines, les deux co-rapporteurs invitent, en 175 pages, la France à tirer les leçons des actions passées et à se projeter avec un nouveau paradigme. Bruno Fuchs propose au Point Afrique son décryptage.
Le Point Afrique : Pourquoi vous paraît-il, aujourd'hui, urgent pour la France de refonder sa relation avec l'Afrique ?
Bruno Fuchs : En raison d'un présent qui renvoie injustement une image de la France atteignant directement et indirectement son rayonnement international.
Du fait du passé, il faut refonder cette relation sur des bases égales et respectueuses des intérêts des parties pour ne pas être systématiquement assimilés à notre passé colonial, faisant ainsi fi de toutes les évolutions qui se sont succédé, et pour justement honorer nos liens culturels, historiques et humains avec les Africains qui se sont tissés depuis tant de générations.
Du fait de l'avenir, parce qu'il y va tout simplement de nos intérêts croisés. En effet, le continent africain, par ses potentialités tant démographiques, biodiversitaires, que minières et énergétiques, donc économiques, représente un enjeu pour l'avenir de l'humanité. Et en la matière, l'approche de la France est plus universaliste que celle de la plupart des autres acteurs.
Ce 21 novembre un débat s'ouvre au Parlement sur la stratégie de la France en Afrique, comment jugez-vous la pertinence de ce momentum et les thèmes en question ?
Il faut se réjouir de la perspective de ce débat parlementaire. Il va enrichir notre réflexion réciproque et apporter une légitimité aux orientations de l'offre stratégique de l'exécutif.
Il intervient à un moment où toutes les prises de conscience peuvent être faites et, à mon avis, où rien n'est perdu.
Dans notre rapport, au titre de nos propositions, nous avons d'ailleurs formulé la recommandation d'un tel débat, dans le but d'impliquer davantage les citoyens dans le débat sur l'Afrique, d'y associer plus étroitement le Parlement.
Mais la principale question reste de savoir définir et d'exprimer clairement le rôle que veut jouer la France en Afrique pour redevenir cohérente et lisible et pouvoir ouvrir un nouveau cycle partenarial vertueux et fécond.
Qu'il y a t-il de nouveau dans votre rapport alors que beaucoup a déjà été dit et écrit sur le sujet, notamment par Achille Mbembe ?
Le rapport Mbembe sur la Maison des Mondes africains se focalise surtout sur les aspects culturels, sur la mobilisation utile des diasporas et sur les leviers du ressort démocratique. Notre rapport partage beaucoup des constats déjà exprimés quoique ne s'y limitant pas.
Mais pour réussir à inverser le cours de choses, j'ai, pour ma part, souhaité proposer un plan d'action global qui intègre toutes les dimensions de la relation et qui, si l'on veut réussir, doit être pris dans son ensemble : il faudra d'abord proposer une nouvelle offre stratégique, ensuite supprimer un certain nombre d'irritants ou de chiffons rouges, comme le dit Achille Mbembe, et enfin redéployer toutes nos politiques publiques vers les Afriques.
La France est-elle capable de ne pas intervenir dans les affaires internes des pays africains ? Comment tenir une « juste distance démocratique et politique », comme le suggère Achille Mbembe ?
La politique du double standard a, de fait, généré un manque de lisibilité, aggravé par l'absence d'explication quant aux contradictions des positions françaises retenues, pour devenir progressivement les seuls marqueurs de la relation de notre pays avec la majorité des États du continent africain. La cohérence et la sincérité des actions et des prises de parole de la France ont dès lors été remises en cause.
Je partage donc l'analyse d'Achille Mbembe quand il plaide pour que la France se tienne à une « juste distance ».
Ceci consisterait à ce que la France n'intervienne pas dans les affaires intérieures des pays du continent africain tout en proposant un certain nombre de défis communs à résoudre, de projets à mener ensemble (institutions, biodiversité, éducation, résilience au changement climatique) de manière bilatérale voire à l'échelle du continent.
La France devrait parallèlement veiller à communiquer clairement ses objectifs, valeurs et intérêts qu'elle entend défendre en Afrique.
La « juste distance » est compatible avec le fait que la France puisse à la demande des Africains protéger et participer à la sécurité à des échelles régionales.
La France dans le cadre de cette nouvelle doctrine doit s'engager à apporter des résultats dans une vision opérationnelle des partenariats.
À noter enfin que, de mon point de vue, la complète résolution de cette question du double standard dans son intégralité nécessitera également d'en sortir en France même. En effet, les Français issus des diasporas doivent pouvoir trouver, en France, les mêmes chances de réussite que le reste de la population.
Quelle est votre évaluation du sentiment antifrançais en Afrique ? Et comment expliquez-vous que la France ne l'ait pas l'anticiper, notamment dans les pays d'Afrique francophone ?
S'agit-il réellement d'un sentiment antifrançais ? Au risque de surprendre je ne le pense pas, les Africains aiment plutôt la France, nos ressortissants, même au Mali, au Burkina ou plus récemment au Niger n'ont pas été mis en danger. Il y a un rejet oui mais pas structurel, les Africains veulent d'une « France autrement » ! C'est ce qui ressort de nos auditions.
Il ne faut pas dramatiser et généraliser ce qui, plus qu'un sentiment antifrançais, est bien un rejet de la France, mais il ne faut pas, à l'inverse sous-estimer ce rejet, car un phénomène de viralisation existe, il couve, et il est opportunément attisé par certains de nos compétiteurs. Il nous faut donc trouver un remède pour éviter une continentalisation du phénomène, une contagion à tout le continent.
Si la France donne le sentiment de ne pas avoir pris la juste mesure des mutations qui se sont opérées en Afrique, de ne pas avoir renouvelé en conséquence sa relation aux Africains, peut-on dire que nous n'avons pas vu monter cette désaffection ?
L'état des relations entre la France et l'Afrique fait suite à trente ans de politique non maîtrisée nous ayant conduits progressivement à un rôle subi et non choisi.
Cela fait vingt ans que l'on cherche à changer de logiciel sans y parvenir.
Paradoxalement en apparence, ou, tout au contraire, fort justement en profondeur, c'est effectivement avec l'Afrique francophone, l'Afrique de nos proximités, de nos affinités, de nos passions tumultueuses et lointaines que ce fossé s'est le plus nettement creusé. Au Mali, la présence militaire et la mission de l'opération Barkhane n'ont pas été expliquées et n'ont donc pas été bien comprises ; son retrait est intervenu trop tardivement et elle a été perçue sur la fin comme une force d'occupation ayant perdu sa légitimité.
Mais il existe des raisons plus profondes qui relèvent de la persistance d'un certain nombre d'irritants qu'il est temps d'expurger de notre relation à l'Afrique : politique humiliante de la délivrance des visas, franc CFA, comportements paternalistes ou arrogants. C'est enfin notre passé colonial qu'il faut savoir solder.
Ceci étant, rien n'est écrit, il n'y a pas de fatalité inéluctable, l'avenir d'une relation apurée rénovée est possible il nous appartient de le susciter.
Vous alertez sur une perte de “connaissances”, à quoi est-ce dû ?
Ce phénomène de perte de connaissances est un long processus qui a coïncidé avec la réforme de la coopération à la fin des années 1990. À l'époque, il y avait un ministère de la Coopération de plein exercice avec des hauts fonctionnaires spécialisés. Déjà à l'époque, pour sortir de la Françafrique, on l'a rattaché au ministère des Affaires étrangères.
S'en est suivie une perte d'expertise, de présence sur le terrain. Il y a trente ans il y avait 10 000 coopérants civils. Aujourd'hui, il y en a moins de 900 dont 600 en Afrique.
En parallèle, les coupes budgétaires ont directement affecté nos capacités diplomatiques. Ce n'est que depuis 2018, sous l'impulsion du président de la République et de Jean-Yves Le Drian, que nous avons inversé la tendance en réarmant progressivement notre diplomatie.
On peut ajouter le recul flagrant de notre effort cognitif et de recherche.
Paradoxalement, l'histoire africaine ne figure pas dans nos programmes d'enseignement.
J'ai en mémoire une interview du Roi Hassan II en 1989 à l'occasion de laquelle il eut ses mots sans appel : « on vous connaît mieux que vous nous connaissez. C'est à vous de renverser la vapeur et de faire le premier pas ». Non seulement nous ne l'avons pas écouté mais nous avons suivi le chemin inverse.
Quant aux moyens de rectifier le tir, nous proposons un certain nombre de pistes dans notre rapport valorisant des ressorts bien identifiés : comme le fait de constituer une filière « Afrique » au Quai d'Orsay et mieux préparer nos diplomates à leurs missions en incluant une meilleure compréhension des enjeux interculturels, organiser un séminaire avec les ambassadeurs en Afrique pour nourrir la stratégie Afrique et partager leurs expériences ou encore nommer des diplomates afro-descendants, ou encore apprendre l'Afrique d'aujourd'hui à l'école etc.À LIRE AUSSI Cheikh Guèye : « On reproche à la France de ne pas vouloir changer d'époque »
Votre rapport met l'accent sur le narratif. Pourquoi est-ce devenu un élément essentiel dans cette relation ? Et quels outils peuvent aider alors que la guerre informationnelle fait rage ?
Pour reprendre le contrôle, il nous faut une stratégie claire et mettre des moyens sur nos avantages comparatifs et ils sont nombreux.
Aujourd'hui, nous sommes au mieux en réaction. Mais il nous arrive aussi de ne pas communiquer ou nous défendre. Par exemple, en dix ans, Barkhane n'a pas produit un seul reportage pour les médias locaux et expliquer ainsi notre action. De même, nous avons réagi très tardivement au phénomène russe de désinformation qui nous cause beaucoup de préjudice.
S'agissant de notre narratif, la France devrait, en premier lieu, reconnaître qu'elle dispose d'intérêts en Afrique, comme le font nos compétiteurs sans fausse pudeur. Il est nécessaire de ne plus chercher à les minimiser mais de les assumer, afin de désamorcer, en amont, les théories complotistes qui alimentent le fantasme des agendas cachés.
J'adhère enfin pleinement au choix stratégique et éthique de la France qui consiste à ne pas s'approprier les outils de désinformation de certains pays concurrents comme la Russie.
Quelles approches préconisez-vous face aux concurrents économiques de la France en Afrique ?
On a parlé du manque de connaissance et d'intérêt. Pour les entrepreneurs français, l'Afrique c'est encore celle des années 1980. C'est donc risqué. Il faut remettre l'Afrique au centre de notre stratégie mondiale de demain.
Il faut des politiques publiques plus incitatives, notamment envers les PME. Il nous faut une politique d'investissements qui donne la priorité aux industries de transformation. On devrait favoriser les créations de sociétés à capitaux mixes. Notre pays dispose d'avantages compétitifs réels en la matière et pourra ainsi se démarquer positivement de ses concurrents chinois, russes ou encore américains.
Mais pour l'heure, les groupes et sociétés françaises, principalement celles cotées en bourse, subissent de plein fouet une concurrence déloyale liée aux règles éthiques et de gouvernance. Elles sont soumises à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Tout à notre honneur, cette loi, dite Sapin 2, joue un rôle majeur pour lutter contre la corruption et pour garantir des règles éthiques minimales, mais nous payons très cher cette exigence morale.
Belle intention, cependant vœux pieu !
Instabilité géopolitique permanente,
aucune investissement, quel qu'il soit, n'est assuré...
Seul WAGNER y réussit des "coups" et l'empire du milieu ses manigances sous-marine...
Une coquille n'a pas été corrigée à la relecture :
Quelle est votre évaluation du sentiment antifrançais en Afrique ? Et comment expliquez-vous que la France ne l'ait pas l'anticiper,
=>Il faut lire : anticipé.
Il faut se battre à armes égales contre nos concurrents et sortir de l'illusion que nous allons convertir le monde à notre religion des droits de l'homme.