« Gueules noires » : un « Alien » frenchy… dans une mine de charbon

Signé Mathieu Turi, ce film d’épouvante à l’ancienne illustre l’engouement progressif du cinéma français pour le genre malgré quelques ratés. Rencontre avec un réalisateur qui veut y croire.

Par

Gueules noires de Mathieu Turi.
Gueules noires de Mathieu Turi. © ALBA FILMS - FULL TIME STUDIO - / Collection ChristopheL via AFP

Temps de lecture : 6 min

Lecture audio réservée aux abonnés

La France s'est-elle enfin trouvé un incroyable talent pour le cinéma fantastique ? En 2021, Le Point observait déjà un frémissement de la French Touch du genre, après moult faux départs, avec la sortie concomitante de quelques titres. Lesquels, hélas, ne brillèrent pas autant que prévu au box-office, comme aux yeux des critiques.

Mais les sociétés de production ainsi que les talents concernés se sont accrochés, de nouvelles générations de créateurs nourris à la pop culture s'attaquent au cinéma de trouille et les essais continuent de se multiplier. Après Acide et avant Vermines (le 27 décembre), Gueules noires, sorti en salle ce 15 novembre, en même temps que Vincent doit mourir, prouve en tout cas une chose : les jours sombres du fantastique à la française sont en passe d'être ensevelis pour de bon au fin fond de la mine.

La newsletter pop

Tous les troisièmes mercredis de chaque mois à 12h

Recevez le meilleur de la pop culture !

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription à bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Quand Germinal rencontre Alien

Troisième long-métrage de Mathieu Turi (après Hostile en 2017 et Méandre en 2020), Gueules noires plonge le spectateur à 1 000 mètres sous terre en compagnie d'une poignée de mineurs du nord de la France, en 1956, coincés dans une grotte avec une sanguinaire créature antique. Ou quand Germinal rencontre Alien… Étonnant cocktail !

Certes, l'affaire n'est pas exempte de défauts ni de maladresses. Mais nous lui avons trouvé davantage de qualités, en tête desquelles celle d'assumer à 100 % son ancrage dans un gisement horrifique pur et dur, sans prétention sociale ou poétique ostentatoire, les pieds bien plantés dans un contexte tricolore.

À LIRE AUSSI Just Philippot : « Je ne voulais pas qu'« Acide » ressemble à un film américain »

Traumatisé par The Thing à l'âge de 6 ans

Avec Samuel Le Bihan dans le rôle d'un chef d'équipe buriné, Philippe Torreton dans celui d'un directeur de mine corrompu et Jean-Hugues Anglade en énigmatique archéologue obsédé par la découverte d'une crypte dans les dédales souterrains, Gueules noires combine donc des frissons à l'anglo-saxonne avec une brochette de visages hexagonaux familiers. Sans oublier, sous le casque du mineur débutant Amir, l'excellent Amir El Kacem, entouré d'acteurs aux seconds rôles bien caractérisés (Diego Martin, Bruno Sanches, Thomas Solivérès…), comme jadis John Carpenter sut le faire avec sa bande de scientifiques de l'Antarctique dans The Thing.

À 36 ans, Mathieu Turi continue de creuser sa petite galerie de réalisateur passionné par le genre. Produit pour 3,7 millions d'euros (en partie financés par OCS, la région Nord, des fonds d'investissement et Amazon Prime), Gueules noires « est né de ma volonté de faire un pur film d'aventures horrifique, avec cette découverte par des mineurs de la France des années 1950 d'un tombeau issu d'une civilisation ancienne », explique au Point Mathieu Turi. « C'est à la fois un hommage à The Thing et à Lovecraft – d'ailleurs, pour moi, le film de Carpenter est une adaptation non officielle des Montagnes hallucinées. »

À LIRE AUSSI Pourquoi vous devez absolument (re)découvrir « Hurlements » au cinéma

Traumatisé par The Thing à l'âge de 6 ans (« L'image de la gueule du chien qui s'ouvre en quatre, ça m'a hanté pendant des années ! »), le réalisateur a tenu par ailleurs à faire construire « en dur » un monstre humanoïde de 2,50 m à plusieurs bras (baptisé du doux sobriquet de Mok'Noroth), actionné sur le plateau par sept marionnettistes, comme au bon vieux temps des chefs-d'œuvre du fantastique et de l'épouvante des années 1970 et 1980.

<em>Gueules noires </em>de Mathieu Turi.
©  ALBA FILMS - FULL TIME STUDIO - / Collection ChristopheL via AFP
Gueules noires de Mathieu Turi. © ALBA FILMS - FULL TIME STUDIO - / Collection ChristopheL via AFP

Si Jean-Hugues Anglade et Samuel Le Bihan (ex-héros du Pacte des loups, inégalable succès du cinéma de genre français avec 5 millions d'entrées en 2001) ont déjà passé une tête dans ce type de cuisine, la présence de Philippe Torreton pourrait a priori faire tousser. Détrompez-vous ! « Le soir de notre rencontre pour parler du film, chez lui à l'heure de l'apéro, Philippe m'a confié qu'il était en train de regarder de The Witch et qu'il était en ce moment dans sa période sorcières. Trois semaines plus tôt, il était dans sa période L'Exorciste, et il est très calé en films d'horreur anciens et nouveaux », s'amuse Mathieu Turi. L'anecdote prête à sourire mais illustre bien l'indiscutable « décoinçage » de l'angoisse made in France.

On sort vraiment d’un quasi-désert en matière de cinéma fantastique.Éric Marti, directeur général Comscore France

« Dans les années 1950, la France était encore capable de produire le meilleur du cinéma fantastique, comme avec Les Yeux sans visage de Franju », analyse Éric Marti, directeur général de Comscore France « Et puis, brutalement, le genre a été balayé par la Nouvelle Vague et la critique et, pendant plus de trente ans, on s'est interdit de faire ces films-là. Depuis quelques années, il semble bien que les producteurs français réinvestissent cette catégorie dans la foulée du succès de Grave et de la Palme d'or de Titane [deux films signés Julia Ducournau, NDLR], mais on ne va pas retrouver la recette en un claquement de doigts. On sort vraiment d'un quasi-désert, il faudra du temps et plusieurs autres lancements ratés, comme quand Ariane crashait ses fusées avant de trouver la formule. On apprend et on progresse. »

<em>Gueules noires </em>de Mathieu Turi.
©  ALBA FILMS - FULL TIME STUDIO - / Collection ChristopheL via AFP
Gueules noires de Mathieu Turi. © ALBA FILMS - FULL TIME STUDIO - / Collection ChristopheL via AFP

Avec un premier jour d'exploitation à 6 787 entrées sur 190 écrans, Gueules noires ne fera, hélas, sans doute pas de retentissantes étincelles au box-office, mais il contribue à la remise en lumière de la France sur le terrain du fantastique. Artisan amoureux du genre, Mathieu Turi va continuer de miner le filon. Sur sa feuille de service figure d'ores et déjà la préparation d'une série télé 8 x 52' adaptée du jeu vidéo tricolore A Plague Tale, avec un tournage en français prévu pour 2025 sous les bons auspices du groupe Mediawan (Turi officiera comme créateur et réalisateur). Deux autres longs métrages figurent sur ses plaquettes, mais le réalisateur préfère rester discret sur leur nature.

Il manque un Jason Blum français pour produire ce genre de film à une cadence plus industrielle.Mathieu Turi

Quant au futur des monstres et autres bébêtes effrayantes au pays de la Nouvelle Vague, Mathieu Turi le voit radieux : « Quand on voit que Le Règne animal a dépassé le million d'entrées, un pur succès de bouche-à-oreille qui n'a pas reculé en trois semaines, c'est formidable. Il va finir dans le top 10 des entrées et se retrouvera sûrement aux César. C'est un film de studio, avec une star française (Romain Duris), un bon réalisateur et un budget confortable : son succès montre qu'il est possible de faire des films français avec des créatures extraordinaires qui attirent le public. Ce succès aura des conséquences en France. »

À LIRE AUSSI Cinéma : « Le Règne animal », des créatures plus vraies que nature

Un label consacré à l'épouvante

Pour notre interlocuteur, le tissu productif doit poursuivre sa mutation dans ce sens : « Les films de genre en France se scindent toujours en deux profils : les petits budgets, comme Gueules noires, autour de 3-4 millions d'euros et les budgets au-delà de 10 millions qui sont soumis à une très forte pression de retour sur investissement, ce qui fut le cas d'Acide [au budget de 12 millions d'euros, NDLR]. Il faudrait davantage de films fantastiques intermédiaires, entre 7 et 8 millions d'euros, qui seraient rentabilisés autour de 400 000 entrées… Il manque un Jason Blum* français pour produire ce genre de film à une cadence plus industrielle. Mais j'ai un espoir fou dans l'avenir. On manque encore de gros succès, mais, au moins, le genre est sorti des débats entre fans sur le forum du site de MadMovies. Il est visible. »

Et Mathieu Turi de rappeler la création toute récente, annoncée le 13 novembre, d'un nouveau label consacré à l'épouvante et au fantastique dans le cadre d'un grand studio français : UGC Frissonne. Premier film issu de l'usine : Vermines de Sébastien Vanicek. Une histoire d'invasion d'araignées tueuses dans un immeuble de cité, en salle le 27 décembre prochain. Pas de doute, le fantastique tisse bel et bien sa toile en France. N'hésitez pas, d'ici là, à donner un coup de pouce à Gueules noires et à son alien massacreur dans une mine de charbon. Des cris, du gore et un monstre millénaire : un filon rare dans l'Hexagone !

* Fondateur de la société américaine Blumhouse Productions, spécialisée dans le fantastique et l'épouvante.

Gueules noires de Mathieu Turi (1 h 43). En salle.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (2)

  • jeromesavonadiritorno

    Je m'attendais bien sûr au patron ou directeur corrompu... Le cinéma français pourrait se mettre à jour avec un syndicaliste corrompu comme personnage. Ça collerait plus a l'actualité et au vécu de beaucoup de lecteurs...

  • Lillois72

    Je n'irai pas le voir au ciné, mais ça peut être un bon divertissement, j'attends la VOD ou la diffusion sur C+ comme le dernier Besson.