Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec « Vincent doit mourir » ?

Dans ce drôle de film de Stephan Castang, tout le monde veut tabasser le héros pour d’inexplicables raisons. Une fable absurde qui a fait mouche auprès des critiques… On se calme !

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Karim Leklou, héros persécuté dans Vincent doit mourir de Stephan Castang.
Karim Leklou, héros persécuté dans Vincent doit mourir de Stephan Castang. © Capricci Films

Temps de lecture : 4 min

Comme dirait un critique nul : Vincent doit mourir, un film coup de poing ! Il a en tout cas mis KO la critique qui, en plus de 36 chandelles, a vu dans ce premier long-métrage de Stephan Castang une métaphore de la violence à l'œuvre dans la société française. Ou de l'explosion de moult névroses dans la France post-Covid. D'aucuns crient déjà au futur classique et, depuis sa sortie en salle le 15 novembre, cette curieuse et intéressante proposition de french fantastique nourrit les conversations à la machine à café (surtout à Paris), malgré un box-office poussif (aux alentours de 19 000 entrées sur 87 copies depuis sa sortie, d'après Comscore France). N'en fait-on pas un brin trop ?

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Coécrit par Mathieu Naert et Stephan Castang, Vincent doit mourir débute banalement par une scène de bureau banale dans la vie encore plus banale du non moins banal Vincent (Karim Leklou), graphiste urbain dans la pub (le film a été tourné à Lyon) au quotidien mou réglé comme une page de réclames. Très vite, tout se détraque : un stagiaire l'agresse violemment, puis un collègue de bureau, un inconnu du balcon d'en face… potentiellement et aléatoirement tout le monde.

Pour sauver sa peau face à cet inexplicable phénomène, la cible vivante se réfugie au vert et en solo dans une maison familiale. Mais le cauchemar continue : la fillette d'une amie voisine l'attaque à son tour, puis le facteur… Un simple échange de regards avec autrui déclenche une pulsion meurtrière chez les assaillants de Vincent, devenus des zombies furieux.

Un SDF lui apprend un jour qu'il n'est pas l'unique victime de cette malédiction : une communauté, Les Sentinelles, s'est même formée sur Internet pour partager les moyens de s'en sortir. Tandis que le « virus » se propage à grande échelle, Vincent sympathise avec Margaux (Vimala Pons), une serveuse de fast-food qui prendra la fuite avec lui. Bon sang, mais c'est bien sûr : un peu gore mais pas trop, un peu sérieux mais pas vraiment (un second degré ostentatoire désamorce tout excès de tension, comme chez Marvel), subversif à petite dose (une love story sauve le héros…), Vincent doit mourir fait surtout tilt parce qu'il rencontre nos psychés hantées par la peur de l'agression gratuite et de ces vies balayées pour de dérisoires motifs.

Une mutation pas très cohérente

Dans une ère où l'État se voit de plus en plus contesté dans son monopole légitime de la violence, comment ne pas se sentir interpellé par une fiction dans laquelle ni la police, ni la justice, ni aucune institution ne peuvent venir au secours d'un homme sans histoires soudainement persécuté par une furie homicide collective ? Se calfeutrer chez soi pour se protéger de l'ire du monde, se murer dans la solitude, affronter l'incompréhension des proches sans pouvoir communiquer son malaise…

À LIRE AUSSI Cinéma – Karim Leklou, frère d'âmeLe film reflète parfaitement l'accélération de chocs traumatiques que nous inflige notre époque précaire, criblée de morts absurdes, tartinée de réseaux sociaux harceleurs et de confinements postpandémiques. L'effrayante explosion d'actes antisémites en France et dans le monde depuis la tragique date du 7 octobre, illustrée, entre autres, par ces scènes ahurissantes de persécutions d'étudiants juifs sur les campus nord-américains, accrédite le sentiment d'un monde toujours plus glauque dont les coutures craquent et où des innocents, qui n'ont rien demandé à personne, peuvent être livrés à une brutale vindicte collective. Soit le sort de Vincent dans le film.

Vimala Pons et Karim Leklou, couple de l'apocalypse dans <em>Vincent doit mourir</em> de Stéphan Castang.
©  Capricci Films - Monica Donati / Capricci - Bobi Lux
Vimala Pons et Karim Leklou, couple de l'apocalypse dans Vincent doit mourir de Stéphan Castang. © Capricci Films - Monica Donati / Capricci - Bobi Lux

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Le script de Vincent doit mourir a bien entendu été écrit avant tous ces faits et, de son propre aveu dans le dossier de presse, Mathieu Naert réfute la théorie d'un film sur « l'ensauvagement » de la société. Soit. Il n'empêche : tout comme le They Live de John Carpenter (retitré Invasion Los Angeles en France) sut capter, en 1988, la veulerie d'une certaine Amérique reaganienne, on peut accorder à Vincent doit mourir – toutes proportions gardées – la faculté d'incarner cette angoisse majeure de notre bien triste monde 2.0 – la trouille de l'effondrement et de l'isolement. Très maligne, cette idée initiale de Mathieu Naert – un homme inexplicablement agressé par tout un chacun – se voit pourtant, hélas, trahie à mi-parcours par une mutation pas très cohérente de son concept.

Le récit est à l'avenant, slalomant d'un genre à l'autre et ajoutant de superflues louches d'humour, pas forcément pour son bien, comme si ses auteurs n'assumaient pas d'embrasser au premier degré ce fantastique qu'ils ne cessent pourtant de célébrer à longueur d'interview (Carpenter et Romero sont souvent cités par le scénariste et le réalisateur).

Mené par le toujours parfait Karim Leklou (le grand atout de Vincent doit mourir), ce film singulier mais inégal et frustrant excite assurément les papilles de l'air du temps, tandis que son petit fumet branché aux yeux de la critique chic (son script est issu des résidences d'écriture SoFilm) le pare d'une aura de frisson du moment à voir de toute urgence. Vincent doit mourir saura-t-il vivre au-delà du syndrome « tout le monde en parle » ? C'est tout le mal qu'on lui souhaite, même si l'auteur de ces lignes est resté sur sa faim.

Vincent doit mourir de Stephan Castang (1 h 48). En salle.

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Commentaire (1)

  • CitoyenXXI

    Ce qui est intéressant c’est l’incapacité du monde culturel - et singulièrement des réalisateurs de films - à reconnaître que leurs films parlent de… ce dont ils parlent, par peur de la condamnation morale de la bien-pensance. Laquelle agit alors comme une sorte de philtre paralysant l’esprit. Tétanisés à l’idée que leur œuvre serve à démontrer ce qu’elle démontre, ils en viennent à nier l’évidence. Un type qui se fait tabasser impunément, une parabole de l’ensauvagement de la société ? Pas du tout, tout le monde il est gentil, puisque TerraNova l’a dit. BAC Nord montre la sécession des quartiers ? Mais non, tout le monde il est gentil… Les spectateurs ne s’y trompent pas, heureusement.