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« Qu'est-ce que ce porc a fait de moi ? » Christine, le regard éteint, s'interroge alors qu'elle foule, plus de vingt ans après, le chemin herbeux où son violeur l'avait abandonnée, inerte. Elle est revenue sur ce sentier qui borde la rivière Sambre, dans le nord de la France, accompagnée par Winckler, le capitaine de police qui a repris l'affaire qui stagnait comme une eau morte.
Cette question que la victime ressasse résume le parti pris de Sambre, série en six épisodes réalisée par Jean-Xavier de Lestrade à partir de l'enquête menée par Alice Géraud pour son livre Sambre, radioscopie d'un fait divers, paru en janvier 2023 (JC Lattès). Le protagoniste de cette affaire judiciaire a été condamné, le 1er juillet 2022, par la cour d'assises du Nord, à vingt ans de réclusion criminelle pour 54 viols, tentatives de viol et agressions sexuelles, commis entre 1988 et 2018.
Pouvoir symbolique
Jean-Xavier de Lestrade est l'auteur de nombreux films documentaires dont Un coupable idéal, qui a reçu un oscar en 2002. Il a également réalisé plusieurs téléfilms et séries de fiction comme Laëtitia, en 2019, sur le viol et le meurtre de la jeune Laëtitia Perrais, en 2011, en Loire-Atlantique ou encore Jeux d'influence, consacrée aux lobbys des pesticides, diffusée sur Arte.
Il s'empare cette fois d'une affaire judiciaire hors normes et d'un travail journalistique pour tisser un paysage fictionnel dans lequel les femmes se battent non seulement pour survivre aux terribles traumatismes qu'elles subissent, mais aussi pour parvenir à se faire entendre des hommes « ordinaires ».
À LIRE AUSSI « La mort de Laëtitia n'est pas qu'un simple fait divers » Le réalisateur a découpé son histoire en six tableaux, qui font chacun la part belle à un personnage : Christine, la victime (Alix Poisson) ; Irène, la juge (Pauline Parigot, parfaite) ; Arlette, la maire (Noémie Lvovsky) ; Cécile, la scientifique (Clémence Poésy, mélange de force et de fragilité) ; Winckler, le commandant (Olivier Gourmet, tout en nuances) ; Enzo, le violeur (Jonathan Turnbull, dérangeant à souhait).
Sambre est une série efficace à l'intrigue bien menée sur un monstrueux fait divers et une enquête truffée de ratés et de manquements. Mais c'est bien plus que ça. La série montre comment, dans ces années 1980-1990, les femmes sont méprisées, niées parfois. Même celles qui bénéficient d'un peu de pouvoir symbolique – la juge, la maire, la scientifique – voient leur parole affaiblie, systématiquement remise en cause par la toute-puissance masculine.
Amitiés viriles
Les victimes, femmes du prolétariat ou banquière, sont traitées de la même manière, sans empathie, comme des sujets d'enquête après avoir été des objets de satisfaction sexuelle. Leur souffrance qui, comme le montre bien la série, va bouleverser leur vie à jamais, les rongeant de l'intérieur pendant des décennies, n'est jamais réellement prise en compte par les institutions, le plus souvent dirigées par des hommes.
Sauf par Winckler, commandant de police solide, résolu et sensible, qui a élevé seul sa fille… Les autres hommes de loi se contentent de porter un regard froid et dénué de compassion sur ces femmes à l'existence fracassée. « Vous avez eu de la chance », leur répètent ainsi les policiers qui les entendent, à défaut de les écouter. Car qu'est-ce qu'un viol quand on aurait pu mourir ?
À LIRE AUSSI « Master Crimes » : Muriel Robin cartonne sur TF1Les hommes ne sortent pas grandis de cette série. Les maris ne supportent pas les traumatismes de leur femme violée et les qu'en-dira-t-on du quartier ; le médecin ausculte sans aucune empathie la femme blessée dans sa chair, le procureur a d'autres sujets de préoccupations que l'interminable liste de victimes, les policiers, bien occupés par des séances d'amitiés viriles, sont peu concernés par l'enquête.
À tel point qu'ils accueillent régulièrement le violeur dans leur commissariat pour des apéritifs d'après-match, alors que son portrait-robot trône au-dessus des bureaux. Comme si l'un des leurs ne pouvait pas se livrer à « ça ». Comme un aveuglement obstiné à la souffrance des femmes et à leur propre condition.
« Sambre », de Jean-Xavier de Lestrade, saison 1, 6 épisodes de 52 minutes, scénaristes : Alice Géraud et Marc Herpoux, avec : Alix Poisson, Olivier Gourmet, Julien Frison, Jonathan Turnbull, Noémie Lvovsky, Clémence Poésy, Pauline Parigot… Diffusion sur France 2 lundi 13 novembre à 21 h 10 (épisode 1) et 22 h 20 (épisode 2) et sur france.tv.
Je suis certain que cette série renforcera encore plus les moyens mis en œuvre pour lutter efficacement contre ses violences faites aux femmes. L’attitude des policiers à sûrement changé depuis cette époque.
J’ai regardé les 6 épisodes... Et j’ai rarement vu une série française d’une telle qualité. Jeu des acteurs, décors... Tout est criant de vérité. Ça nous change des téléfilms habituels, surjoués, aux dialogues insipides.
Excellente série avec une mention spéciale à Alix Poison et Olivier Gourmet (la force tranquille)