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Après un an d'attente, l'impatience des fans de The Crown est à son comble. À quelques heures de la diffusion de la sixième (et a priori dernière) saison du feuilleton mettant en scène la famille royale britannique, les rumeurs les plus folles circulent sur le Web concernant de prétendus coups de théâtre concoctés par son créateur, Peter Morgan. Peu importe que les événements relatés soient historiques. Les spectateurs ne peuvent pas s'empêcher d'espérer des surprises !
Pour contenter son public en la matière, Peter Morgan a conçu les quatre premiers volets accessibles sur la plateforme Netflix, à partir du 16 novembre, en suivant pas à pas la recette de la tragédie shakespearienne. La fin de la pièce est connue ? Peu importe. Le showrunner, qui signe seul les quatre premiers scénarios de ces épisodes, veille à saupoudrer leur intrigue d'« effets de suspense » appuyés, tous destinés à pousser le spectateur à se demander si Diana était inéluctablement vouée à son funeste destin. Quitte à glisser subrepticement des éléments de pure fiction au cœur d'un matériau strictement documentaire. Ce faisant, il suggère que son héroïne était l'objet de dilemmes moraux dans quasiment tous les actes qu'elle entreprenait.
Dans le premier épisode, dont il a confié la réalisation au Brésilien Alex Gabassi, repéré pour sa très énergique mise en scène d'un téléfilm adaptant le roman d'Agatha Christie The ABC Murders en 2019, Peter Morgan fait commencer la saison un an tout juste après le divorce de Lady Di (toujours interprétée par Elizabeth Debicki) et du prince de Galles (incarné par Dominic West).
À LIRE AUSSI La dernière saison de « The Crown » affole Buckingham PalaceDiana est invitée à Saint-Tropez par Mohamed Al-Fayed, propriétaire du magasin londonien Harrods, qui apparaissait dans plusieurs épisodes de la saison précédente. Que se serait-il passé si la belle trentenaire avait décliné la proposition de séjourner dans la luxueuse villa Sainte-Thérèse du milliardaire égyptien ? Car c'est à ce moment-là – au mois de juillet 1997 –, à en croire le scénario, que commence la relation de l'ex-future reine et du producteur de cinéma Dodi El-Fayed (joué par le comédien Khalid Abdalla). Concentrant son regard sur cette idylle naissante, la série déroule, par la suite, les déplacements que Diana fit au cours de cet ultime été comme un chemin de croix présentant son accident sous la forme d'un coup du destin.
Un chemin qui va du village de Klokotnica, en Bosnie, où elle effectue un voyage officiel le 9 août avec une association luttant contre la prolifération des mines antipersonnel, à Saint-Tropez où elle est de retour le 22 août, poursuivie par les paparazzis qui la contraignent à trouver refuge sur l'un des yachts de Dodi. Lady Di est présentée comme une icône de bout en bout : une victime expiatoire d'un système médiatique déréglé qui a besoin de chair fraîche pour se nourrir. C'est, de fait, comme une bête de plus en plus traquée par la meute que Peter Morgan choisit de nous montrer son héroïne; l'issue du troisième épisode pouvant ainsi être lue comme une forme de libération plutôt que de malédiction.
The Crown, saison 6 : des images d'Épinal
La première partie de la série s'achève ainsi, au bout de trois actes, par cette fameuse nuit du 30 au 31 août durant laquelle Dodi et Diana, en escale à Paris, trouvent la mort quand leur voiture s'encastre contre un poteau sous le tunnel de l'Alma. Une scène qui n'est, fort heureusement, pas montrée au spectateur par souci de décence, le réalisateur allemand Christian Schwochow, qui traite de l'arc narratif le plus sensible de la série, ayant opté pour une élégante ellipse.
Imaginant les dernières heures du couple, passées au Ritz, propriété du père de Dodi, Mohamed El-Fayed (auquel prête ses traits le comédien Salim Daw, précédemment aperçu dans la série israélienne Hatufim), Peter Morgan opte à la faveur de ce dénouement fatal pour un traitement mélo qui pourra étonner. La musique couvre ainsi les dialogues en plusieurs moments clés. Tels l'annonce du décès de Diana à la reine ou encore cet instant où William et Harry apprennent la mort de leur mère. Mais qui pourrait reprocher au scénariste cette pudeur ?

Comme dans le biopic d'Oliver Hirschbiegel où Naomi Watts endossait le costume de Diana Spencer, la série de Peter Morgan insiste (parfois un peu lourdement) sur les tourments amoureux de la princesse, allant jusqu'à suggérer qu'elle est consciente que cette passion ne peut que lui être fatale. Après avoir exploré son histoire d'amour malheureuse avec le chirurgien d'origine pakistanaise Hasnat Khan, Morgan prend, il est vrai, bien soin de faire de Dodi l'antithèse de ce médecin que Diana avait surnommé « Monsieur Merveilleux » en décrivant le producteur comme un personnage ambigu, certes fou d'amour pour Diana mais, dans le même temps, assez irresponsable.
The Crown, saison 6 : des histoires de fantômes
Les choses se font plus intéressantes à partir du quatrième épisode (intitulé « Aftermarth »), lorsqu'est décrite la réaction de Buckingham à l'annonce de la mort de Diana. Elizabeth II (Imelda Staunton) hésite sur la conduite à tenir. Doit-elle rester en Écosse, où elle séjournait au moment de l'accident, ou, au contraire, revenir à Londres, où l'émotion populaire est immense ? Peut-elle résister à la pression du 10 Downing Street, où Tony Blair (Bertie Carvel) la supplie de prendre la parole, tout comme la presse tabloïde ? Ces dilemmes occuperont un plein épisode.
Certains verront dans ces séquences une forme de « déjà-vu » puisque le sujet formait l'intrigue de The Queen, le long-métrage de Stephen Frears où Helen Mirren campait la reine britannique. Normal, c'est Peter Morgan qui en signait déjà le scénario. Conscient néanmoins du danger de la répétition, le « screenwriter » présente ici les faits de manière plus originale… en faisant apparaître comme un fantôme le personnage de Diana récemment disparue. Un choix de mise en scène qui a fait couler beaucoup d'encre outre-Manche mais qui n'est que le pendant d'autres séquences où l'on surprend Mohamed Al-Fayed échangeant avec son fils décédé. De fait, le milliardaire, disparu le 30 août dernier, confiera jusqu'à sa mort avoir été hanté par ce drame.
Pour écrire ces scénarios qui mettent en scène des personnages encore vivants, à commencer par l'actuel Charles III, Peter Morgan reconnaît s'être entouré d'une importante équipe de documentalistes emmenés par Annie Sulzberger, qui avait précédemment participé à la préparation du film de Phyllida Lloyd (The Iron Lady) consacré à Margaret Thatcher en 2011. Cette historienne francophile, passée par Brown University et l'Institut Courtauld, qui dépend de l'université de Londres, travaille depuis près de dix ans aux côtés du créateur de la série.
The Crown, saison 6 : un scénario inspiré par un rapport de Scotland Yard
Annie Sulzberger a veillé à ce que le script, comme les dialogues de chacun des épisodes de cette sixième saison, puise dans de multiples sources documentaires. À commencer par l'enquête que Scotland Yard a rendue publique en 2006. Une investigation dont le rapport de 822 pages a été scrupuleusement épluché pour ne donner prise à aucune critique de la part de Buckingham. Ce document permet ainsi à Peter Morgan d'aborder un point épineux : la question de savoir si Dodi et Diana ont été assassinés par les services secrets anglais, comme l'a cru le père de Dodi jusqu'à son dernier souffle.
Autre question sensible : Diana et Dodi étaient-ils sur le point de se marier ? C'est ce qu'a affirmé à la presse Annabel Goldsmith, une amie proche du couple. Cette question est aussi au centre de l'un de ces épisodes qui revendiquent la « dramatisation fictionnelle d'événements réels ». Une formulation ajoutée dans le générique à la demande des avocats de la production dans le but de décourager d'éventuelles poursuites émanant de personnalités insatisfaites de la manière dont elles sont dépeintes dans ce programme.
La manœuvre sera-t-elle efficace ? Pas certain. Les six derniers épisodes de l'ultime saison sont susceptibles de donner matière à contentieux. Y est en effet racontée la manière dont le prince William (joué par Ed McVey) a progressivement rompu avec son frère Harry au lendemain de son mariage avec Kate Middleton (incarnée par Meg Bellamy). Mais, sur ce point, il faudra attendre le 14 décembre pour savoir comment le duc de Sussex et sa femme, Meghan Markle, réagiront !
Ce sera de saison, on va manger de la dinde à Noël.